Le réel est terreau fertile pour les auteurs. Inspirées d’un même fait divers, deux histoires complètement différentes sortent en même temps au cinéma et en librairie. L’occasion de se pencher sur ce qui déclenche un désir de fiction
Connaissez-vous Cathy la « matonne » ? Ce n’est pas le titre d’un polar ou d’un film noir. Cela pourrait l’être. Cette surveillante de la prison de Borgo en Corse a cédé aux sirènes de la mafia et est accusée de « double homicide volontaire en bande organisée ». Cette affaire qui, sept ans après, secoue encore l’île de Beauté a fait l’objet d’une enquête, « Vendetta », menée par la journaliste Violette Lazard et publiée chez Plon en 2020. En 2019, Ariane Chemin et Antoine Albertini signent dans « Le Monde » un article intitulé « La double vie de Cathy la “matonne“ ».
Ce portrait romanesque crée l’étincelle. Je découpe la page, la mets de côté et laisse infuser avant de me lancer. Ecrire sur la Corse est un sujet périlleux, l’île est, plus qu’un simple décor, elle est un personnage à part entière et j’ai envie de laisser toute la place à une héroïne inspirée de Cathy. Je décide donc de transposer l’histoire dans ma région d’origine, Aix-en-Provence. Je tricote une rencontre imaginaire entre Kathy, surveillante au centre de détention de Luynes, et une avocate commis d’office le temps d’une garde à vue. Ainsi est né « Un ciel bleu comme une chaîne », qui sort en libraire début mai.
A la lecture du même article, la machine à fiction se met également en route pour Stéphane Demoustier. Le scénariste et réalisateur de « La fille au bracelet », César de l’adaptation d’un roman, part cette fois du réel. « Cet article était une promesse de film », me raconte-t-il lorsque je l’ai rencontré au printemps pour échanger sur notre travail. Son point de départ est à l’opposé, il a envie de tourner en Corse, mais cherche le sujet qui va être son « cheval de Troie », dit-il, pour découvrir un territoire qui lui est inconnu. L’histoire de Cathy va lui inspirer Melissa, héroïne de « Borgo », en salle depuis le 17 avril.
Il est troublant de découvrir comment a été modelé de manière différente le même « matériau » humain. Lorsque je la vois à l’écran, sa Melissa est, pour moi, un personnage étrangement proche et lointain.
Deux héroïnes de fiction avec un lien de parenté
Il n’y a rien en commun entre « Borgo » et « Un ciel bleu comme une chaîne », tant sur le fond, la forme, le support. Cependant, des intentions similaires traversent nos fictions. Ce qui nous a happés dans l’article d’Ariane Chemin est sans nul doute la notion d’enfermement. Pas seulement pour l’évocation de l’univers carcéral, mais aussi parce que nos héroïnes se sentent recluses dans un milieu social, dans la place qui leur est assignée, à l’étroit dans leur couple. Chacun d’entre nous s’est également questionné sur le glissement d’un individu d’une vie ordinaire à la complicité dans une affaire de grand banditisme.
En revanche, le réalisateur s’est beaucoup intéressé aux rapports de pouvoir et de manipulation. Alors que de mon côté, j’ai tiré de fil de la fascination de Cathy Sénéchal pour les séries comme « Mafiosa » et « MacGyver », évoquée dans l’article d’Ariane Chemin, pour en faire un personnage qui vit entre fiction et réalité. J’avais été interpelée par ce qu’un des témoins du double assassinat de Bastia Poretta avait rapporté à la police. L’un des tueurs avait balancé aux passants pour les rassurer : « C’est rien, c’est pour un film ». La passerelle vers la fiction était jetée.
Il semblerait que les fictions et les réalités ne cessent de se mélanger. Alors que le film de Stéphane Demoustier sort au cinéma et mon roman en librairie, Cathy la « matonne », qui était incarcérée à la prison de Riom, revient sur le devant de la scène. Tous les accusés de cette affaire sont présentés aux assises d’Aix-en-Provence de mai à juillet. Je n’avais pas imaginé, en m’éloignant du fait divers initial, que le procès se tiendrait dans la ville où se déroule l’action de mon roman ! La réalité rattrape sans doute toujours la fiction…
Et pour vous, comment naît le désir de fiction ?
Pour lire la conversation avec Stéphane Demoustier :
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