« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. » Albert Camus, L'Étranger, 1942 Ouvrir un livre, c'est comme accepter de suivre un inconnu.
Il faut que ce soit plus fort que vous. Que rien ne soit de l'ordre du raisonnable. Que vous acceptiez de ne plus être au contrôle, puisqu'en le suivant, vous risquez de vous perdre vous-même. Ou, au contraire, de vous trouver.
On ne lit pas un livre sous la contrainte, sinon le petit livre rouge de ce cher Mao Tse-Tung. Et encore fallait-il être de son empire populaire et la tête lavée par toute la propagande du parti pour y trouver un quelconque plaisir.
On force les enfants à lire, et on a tort le plus souvent. Évidemment, vous me direz, c'est comme les choux de Bruxelles, si on ne vous force pas à les manger, vous ne saurez jamais que c'est bon. Donc oui, faisons les goûter, puis laissons-les choisir les mots qu'ils suivront, mais ne les forçons jamais, sous peine de les en dégoûter.
Le lecteur qui ouvre un livre n'a qu'une liberté, mais elle est la plus terrible : celle de le refermer. Qu'il le fasse à la fin, ravi ou la larme à l'œil et vous aurez gagné. Mais si dès la première page, le livre lui tombe des mains, vous aurez perdu. C'est pour cela que les théoriciens de l'écriture, qui aiment mettre des étiquettes sur les choses naturelles, ont développé toute une littérature sur l'incipit.
L'incipit en latin veut simplement dire ce qui commence. Comme la Genèse de la Bible. Les premiers mots du texte. Les plus importants. Ceux qui vont ouvrir la voie.
Mais ce sont les plus difficiles à écrire parce qu'ils doivent être les plus beaux. Ce sont ceux qui vous font traverser le miroir. À moins d'être un génie de la littérature, ces premiers mots ne vous viendront pas lorsque vous commencerez à écrire votre roman. Ils vous viendront bien plus tard, souvent comme une révélation.
Ils s'imposeront comme une certitude. Rarement lors de la rédaction du premier jet. D'ailleurs à la relecture, vous trouverez votre début gnangnan, votre exposition trop longue, maladroite et vous supprimerez sans doute beaucoup de phrases inutiles. Vous trouverez cet incipit certainement lorsque tout le roman sera construit et que vous aurez une compréhension globale de ce qu'il raconte. Il s'agit en quelques mots de harponner le lecteur. Attention, l'incipit ne se confond pas avec les prolégomènes et prologue, toute cette introduction un peu formelle, venue du théâtre antique, et que l'efficacité exigée par les temps que nous vivons a relégué au rang de vieillerie. Vous ne les trouverez plus que dans les ouvrages académiques. Je finirai par un incipit que j'adore. Un incipit qui vous incitera à écrire. C'est celui de "La promesse de l'aube" de Romain Gary. Cet incipit est exceptionnel parce qu'au moment de commencer le récit, Romain Gary déclare que : « C’est fini. La plage de Big Sur est vide, et je demeure couché sur le sable, à l’endroit même où je suis tombé. ».
En proclamant la fin quand tout commence, l'auteur avait tout compris : comment construire un récit et comment dès les premiers mots y perdre le lecteur pour mieux le gagner. Soyez génial, mais surtout remettez cent fois votre ouvrage sur le métier, jusqu'à ce point de perfection. C'est tout le mal que je vous souhaite. Écrivez. Vous êtes un écrivain.
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Les romans d'Anna Alexis Michel sont disponibles sur Rencontre des Auteurs Francophones
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