La rue affuble souvent de prénoms féminins les personnes aux comportements caricaturaux. On a ainsi récemment assisté aux États-Unis à l'émergence des "Karen", dénomination caricaturale des femmes de la classe moyenne en permanente et pantoufles qui appellent la police à la moindre incartade de leurs voisins, voire de simples quidams rencontrés dans la rue ou au supermarché.
Mon époque était celle des Marie-Chantal. En un prénom, tout un univers s'ouvre à l'imagination. Certaines objecteront que ce sont plus souvent les femmes qui sont ainsi visées. Pour n'épargner personne, je citerai simplement les Kevin et les Ronny et vous aurez tout compris.
L'auteur français ne connaît en général pas Mary Sue, et je pense faire œuvre de salubrité publique en l'introduisant à mon lectorat francophone. Je vous l'ai dit dans une chronique précédente, le jeune auteur est souvent trop complaisant avec ses personnages. Particulièrement avec son protagoniste, souvent vaguement inspiré de sa propre histoire. Or, comment reconnaître au personnage le droit d'avoir des défauts quand on a du mal à reconnaître et connaître les siens.
Laissez-moi vous parler de Mary Sue et vous ne commettrez plus cette erreur !
Issue de l'univers des écrits de fans de science-fiction qui plagient à l'infini le cultissime Star Trek, une Mary Sue, qu'il s'agisse d'une femme, d'un homme ou d'une créature d'un univers imaginaire,
- ressemble à un selfie photoshopé de son auteur ; je n'ai pas besoin de vous dire combien c'est ennuyant.
- possède la pureté de la Vierge et le sens moral d'une Jeanne d'Arc ; ce qui veut dire qu'elle est le Bien incarné et n'est donc en proie à aucun véritable conflit interne.
- a toujours la réponse adéquate à l'obstacle qui se présente à elle ; ce qui signifie qu'elle lisse les complications progressives jusqu'à rendre l'issue des conflits externes prévisibles.
Bref, elle n'a pas d'épaisseur, pas de conflit interne et elle tue le conflit externe.
Pour bien construire un personnage, et éviter ce type d'écueil, mon conseil est de faire une fiche.
Quand je dis "fiche", c'est au sens symbolique du terme. Il peut s'agir de notes punaisées sur un mur façon FBI, d'un collage, de photos, d'une petite boîte où vous pourriez accumuler quelques babioles censées définir votre personnage. Peu importe. L'idée est d'enfanter votre personnage, de le faire grandir, évoluer, de garder trace - comme vous le feriez pour un enfant - de sa courbe de croissance. Non seulement physique mais aussi psychologique. Pour pouvoir y revenir, si un détail sur lui vous échappe au cours du récit, et assurer la continuité narrative.
Vos personnages, outre les personnages principaux que j'ai déjà évoqués (protagoniste et antagoniste), seront en partant de la base de la pyramide :
- des figurants. Comme au cinéma, ce sont ceux et celles qui peuplent ce monde imaginaire pour le servir : chauffeur, demoiselle de magasin, hôtesse de caisse... Leur description doit être limitée à l'essentiel, ou quand elle ne l'est pas, elle doit être drôle, dramatique ou anecdotique. Ils ne doivent se mêler que de ce qu'ils font. Ils n'existent que pour faire vivre l'action et faire avancer le récit.
- les personnages secondaires. Ils accompagnent le récit, ou peuvent servir à développer des histoires secondaires qui viendront éclairer le récit principal. S'ils ne servent à rien, on s'en débarrasse ou on les rétrograde en figurants. On peut grosso modo dire qu'un personnage secondaire est utile s'il remplit l'un de ces rôles :
- neutre, le personnage secondaire va donner de la profondeur aux personnages principaux (pour qu'il y ait un époux, il faut un conjoint.),
- opposant, le personnage secondaire va illustrer le thème en se positionnant différemment (la belle-mère issue d'un autre milieu, par exemple).
- adjuvant, le personnage secondaire va faire progresser l’action, en révélant des informations sensibles, en générant des conflits, ...
En le décrivant, physiquement et psychologiquement, il important de le construire en contraste avec le protagoniste. Il est également essentiel que tous les personnages secondaires soient bien différentiables les uns des autres, sous peine de créer un brouhaha susceptible de perdre le lecteur. Ainsi, s'il s'agit des membres d'une famille, chacun doit avoir une spécificité qui le distingue des autres.
- le deutéragoniste et le tritagoniste. Ces personnages dont les noms aux sonorités fantastiques nous viennent du grec, signifient le deuxième et le troisième protagoniste. Mais en quoi sont-ils différents des personnages secondaires ? Justement par l'analyse de la dynamique de leurs rapports avec le protagoniste et en se posant cette question simple : de qui raconte-t-on l'histoire ?
- Si je raconte l'histoire d'un couple, et que les deux personnages sont également essentiels au récit, j'ai bien un protagoniste et un deutéragoniste (qui peuvent à un certain moment du récit se muer en protagoniste/antagoniste). Si, au contraire, je raconte l'histoire d'une femme et des hommes de sa vie, le mari ne sera qu'un personnage secondaire.
- Si je raconte l'histoire d'un triangle amoureux, la maîtresse ou l'amant sera un tritagoniste. Par contre, si mon histoire est celle d'un couple qui se déchire parce qu'un des deux conjoints a trompé l'autre, la maîtresse ou l'amant ne sera qu'un personnage secondaire. Et si cette maîtresse ou cet amant n'est qu'une incartade parmi mille, la voilà rétrogradée au rang de simple figurant.
Dès que vous avez un deutéragoniste ou un tritagoniste, n'hésitez pas à exploiter le triangle dramatique, ou triangle de Karpman (victime, sauveur, persécuteur). Il suffit d'être deux pour y jouer. À éviter autant que faire se peut dans la vie réelle, il est redoutable pour créer du conflit et donc une dynamique entre les protagonistes d'une histoire.
Quand il s'agit de parler de personnages, certains théoriciens vont encore plus loin dans les subdivisions, au risque de tomber des catégories un peu artificielles ou qui vous feront peu d'usage pratique. Disons que je préfère m'arrêter là et que je vous souhaite des personnages bien construits plutôt que trop nombreux. "Less is more" ne l'oubliez jamais.
Pour en finir avec les personnages - quels qu'ils soient, du protagoniste au simple figurant - s'il n'y avait que trois règles à retenir, les voici :
- le personnage n'est pas une personne, mais ce qui s'en rapproche dans la fiction. Ne cherchez pas à faire vrai, cherchez à ce que cela soit crédible ; relisez mes chroniques sur le protagoniste et l'antagoniste.
- le personnage ne peut pas être une Mary Sue. Faites-vous une fleur : soyez intraitable avec lui et si vous avez des doutes, lisez et relisez les premières lignes de cet article.
- le personnage ne peut pas être un cliché. Ou pas trop. Enfin, par les temps qui courent, c'est délicat. Tellement d'ailleurs que j'y consacrerai toute une chronique, celle de la semaine prochaine.
En attendant, écrivez. N'oubliez pas, vous êtes un écrivain.
Les romans d'Anna Alexis Michel sont disponibles sur Rencontre des Auteurs Francophones
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