La grâce ne pèse pas, on dit d’ailleurs qu’elle abolit la pesanteur. (Titre inversé d’un livre de l’étrange et demi- sainte philosophe et ascète Simone Weil, paru quatre ans après sa mort en 1943.)
Ce qui a du poids, de l’importance, omnipotence, flatulentes influences, intrigues, calculs sournois, piétine tout, à coups de godillots ou d’escarpins à talonnettes, mais coulera aussi un jour au large de nos îles, hors du Temps, dans l’oubli, bien loin des prétentieuses épitaphes et de monuments gras croulant sous les ors froids.
Sur les noires plages de la petite ou de la grande Histoire, flotteront toutefois quelques corps gonflés, nauséabonds et verts apportés par les marées. Nous les enterrerons avec le respect qu’on doit aux naufragés, aux égarés même bouffis d’orgueil, cyniques, cruels empoisonneurs, stupides conquérants, défigurés, tous dépecés à belles pinces par les tourteaux, les goélands, n’ayant plus même l’ombre d’un nom.
Heureux donc les envolés sans laisser trace, les disparus sans mausolée, les anonymes élégants, les petits chiens de basse-cour. S’ils n’ont fait que passer, sur la pointe des pieds, ils n’ont quant à eux rien écrasé. Il n’y a rien dans leurs sillages qu’un parfum de bonté, le souvenir d’âmes légères, humbles, cachées, nous rappelant qu’un rire en courant d’air vaut largement tous les décrets, déclarations de guerre et autres décisions anéantissant notre plus simple et belle liberté.
La grâce n’a jamais pesé plus lourd qu’une plume de geai bleu. Elle a pourtant le don d’innocenter le Monde, de vivifier sa trajectoire, de justifier la gratuité, de graver d’un coup d’aile l’insolente, l'ineffable Beauté.
Alain Cadéo
Les romans d'Alain Cadéo sont disponibles aux États-Unis
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