Un lieu à soi (traduction de Marie Darrieussecq), plus connu sous le titre d’Une chambre à soi (traduction de Clara Malraux), rassemble une série de conférences sur le thème de la fiction et des femmes que Virginia Woolf prononça en 1928 à l'université de Cambridge.
Ce vaste sujet a donné naissance à une tout autre question, celle du lieu et de l'argent, qui donne son titre à l'essai : "Une femme doit avoir de l'argent et un lieu à elle si elle veut écrire de la fiction. »
Virginia Woolf et le féminisme
Bravant les conventions avec une irritation voilée d'ironie, Virginia Woolf rappelle dans ce délicieux pamphlet comment, jusqu'à une époque toute récente, les femmes étaient savamment placées sous la dépendance spirituelle et économique des hommes et, nécessairement, réduites au silence.
À la manière d'un roman, et s'appuyant sur l'histoire littéraire, Virginia Woolf retrace ainsi le cheminement qui l'a conduite vers cette célèbre thèse, qui reste incontournable de nos jours, chef-d’œuvre de la littérature féministe, dont les conclusions restent hélas très actuelles en 2022.
Virginia Woolf se pose des questions :
« Pourquoi un sexe est-il si prospère et l’autre si pauvre ? Quel est l’effet de la pauvreté sur le roman ? »
Virginia enquête sur l’histoire des femmes et découvre les raisons pour lesquelles il y a eu si peu d’écrivaines à travers les âges.
Replaçons-nous dans le contexte :
Seulement un an avant la parution de cet essai (1929), les femmes obtenaient le droit de vote au Royaume-Uni.
Je vous propose ce court extrait d’Une chambre à soi (traduction Clara Malraux) pour vous faire toucher du doigt l’agilité de l’autrice à manier les idées et la dextérité à vous mettre devant les yeux des aberrations tellement évidentes qu’elles passent inaperçues.
« Les femmes ont pendant des siècles servi aux hommes de miroirs, elles possédaient le pouvoir magique et délicieux de réfléchir une image de l’homme deux fois plus grande que nature. Sans ce pouvoir la terre serait probablement encore marécage et jungle. Les gloires de nos guerres seraient inconnues. Nous en serions encore à graver sur des os de mouton de maladroites silhouettes de cerfs et à troquer des morceaux de silex contre des peaux de brebis ou contre quelque ornement simple qui satisferait notre goût encore vierge. Les surhommes et les Doigts du Destin n’auraient jamais porté de couronnes, ou ne les auraient jamais perdues. Les miroirs peuvent avoir de multiples visages dans les sociétés civilisées ; ils sont en tout cas indispensables à qui veut agir avec violence ou héroïsme. C’est pourquoi Napoléon et Mussolini insistent tout deux avec tant de force sur l’infériorité des femmes ; car si elles n’étaient pas inférieures, elles cesseraient d’être des miroirs grossissants. Et voilà pourquoi les femmes sont souvent si nécessaires aux hommes. Et cela explique aussi pourquoi la critique féminine inquiète tant les hommes, pourquoi il est impossible aux femmes de dire aux hommes que tel livre est mauvais, que tel tableau est faible ou quoi que ce soit du même ordre, sans faire souffrir davantage et éveiller plus de colère que ne le ferait un homme dans le même cas. Si une femme, en effet, se met à dire la vérité, la forme du miroir se rétrécit, son aptitude à la vie s’en trouve diminuée. Comment l’homme continuerait-il de dicter des sentences, de civiliser des indigènes, de faire des lois, d’écrire des livres, de se parer, de pérorer dans les banquets, s’il ne pouvait se voir pendant ses deux repas principaux d’une taille pour le moins double de ce qu’elle est en vérité. »
Virginia Woolf aime imaginer le monde à l’envers pour rendre plus sensibles encore les évidences et les incohérences :
« Supposez, par exemple, que les hommes aient été représentés dans la littérature seulement comme les amants de femmes, et jamais comme amis des hommes, soldats, penseurs, rêveur ; (…) combien la littérature en aurait souffert ! »
« Un visiteur, passant même très rapidement sur cette planète, ne pourrait pas manquer de se rendre compte, au vu de ce document (Woolf lit distraitement les gros titres d’un journal laissé sur une chaise), que l’Angleterre est sous la coupe d’un patriarcat. »
Elle nous fait remarquer :
« L’histoire de l’opposition des hommes à l’émancipation des femmes est plus intéressante peut-être que l’histoire de cette émancipation elle-même. »
Marie Darrieussecq qui a récemment traduit A room of one’s own écrit : Woolf nous laisse un outil en héritage, on l’appelle le « Test de Bechdel Wallace » qui vise à mettre en évidence l'éventuelle surreprésentation des protagonistes masculins ou la sous-représentation de personnages féminins dans une œuvre de fiction.
Prenez un film ou un livre et soumettez-le à ces trois questions :
- Y a-t-il dans le film au moins deux personnages féminins dont on connaît le nom ?
- Ces deux femmes se parlent-elles ?
- Si oui, parlent-elles d'autre chose que d’un homme ?
Peu de livres ou de films passent le test.
J’espère que ces quelques phrases de Virginia Woolf vous donneront envie de lire cet essai, je préfère la traduction de Marie Darrieussecq pour le titre, mais celle de Clara Malraux pour le texte.
Je me passionne depuis des années pour cette romancière et, mon premier livre, Intrigue chez Virginia Woolf, dévoile des aspects inédits sur sa vie et sur son couple. Vous pouvez le trouver sur la boutique de Rencontre des Auteurs Francophones :
Je dis comme comme cyriellegau: très intéressant. Merci de nous exposer ce point de vue.
Très intéressant!