Après quelques semaines d'absence, l'auteure de Miami Anna Alexis Michel nous revient avec ses posts qui sont toujours très appréciés des lecteurs. Un grand bonheur de la lire à nouveau en ce dernier mardi de septembre.
Ceux qui me connaissent savent que je lis peu. Enfin, aujourd'hui et maintenant. Peu de mes contemporains, en tout cas. Pourtant, je vous dis qu'il faut lire. Absolument, de manière boulimique. Il n'y a, dans cette posture, rien de paradoxal. Laissez-moi vous expliquer.
J'ai déjà raconté cette anecdote plusieurs fois. Plus qu'une anecdote, c'est un des piliers de ma construction mentale. J'avais perdu ma mère. Très jeune, elle n'avait pas trente ans. Moi, guère plus de cinq. Elle me laissait à la tête d'une kyrielle d'adorables bambins braillards et malheureux et d'une petite bibliothèque d'étudiante, car elle venait de finir ses études universitaires. Elle avait, dans une cheminée condamnée de la chambre de bonne qui lui servait de bureau, posé des étagères débordandes de classiques et de romans policiers. Moi qui, paraît-il, traînais dans ses jupes, jusqu'à l'accompagner dans le grand amphithéâtre de l'Université ou l'attendre sagement dans le couloir pendant qu'elle y passait un examen, je me retrouvais seule. Il y avait bien mon père, toujours trop occupé et si malheureux pourtant, et toutes les petites sœurs, mais la formule est exacte : un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Je cherchais dans ses livres ce qu'il restait de sa présence, je lisais ce que j'en comprenais, je feuilletais les pages. Je ne mangeais plus. Les rares photos que j'ai de cette époque sont celles d'une fillette malingre et pâle. Ma terrible grand-mère chez qui, dès six ans, je lisais chaque mercredi un Agatha Christie pendant qu'elle faisait ses comptes, et pour qui la guerre et les privations avaient rendu obsessionnel le nourrissage de sa maisonnée, remarqua mon goût pour la lecture et, me voyant si fluette, me proposa un marché : chaque mercredi, je recevrais un nouveau livre pour autant que je finisse mon assiette. Dès lors, j'ai mangé et lu, avec boulimie, jusqu'à l'adolescence. Tout ce qu'on m'offrait. Le matin, en me levant, je prenais un livre. Soit celui que ma Granny m'avait donné, soit un des livres de la petite bibliothèque de ma mère. Puis, en marchant vers l'école, je lisais. Je lisais pendant la récréation - ce qui m'a épargné l'apprentissage des chorégraphies des Claudettes qui occupait les filles de mon âge - , je lisais pendant les repas, je lisais sur le chemin du retour, je lisais dans mon lit et je ne lâchais pas le livre jusqu'à ce que je l'ai fini. Toujours avant qu'un nouveau jour se lève et que, religieusement, je range l'ouvrage et que j'en prenne un autre. Je dois aux livres toutes mes émotions naissantes, mon sens de la formule, ma maîtrise de la grammaire, mon vocabulaire, mon orthographe. Tout ce qui structure le cerveau. Tout ce qui me structure. Alors, je vous dis qu'il faut lire. Absolument. N'importe où, n'importe quand. Mais pas n'importe quoi. Je vous vois venir, vous vous dites, quel élitisme, elle va nous parler de la qualité de l'écriture, de déclin de civilisation. Au contraire. Je vais vous parler d'amour. Il faut tomber amoureux d'un livre. Ne pas se forcer, les amours contraintes sont souvent les plus malheureuses. C'est pourquoi les lectures imposées me semblent contre-productives. Il faudrait aborder les classiques comme on enseigne les dinosaures : ils ont beau être effrayants, tous les gamins les adorent. Non pas lisser la langue pour la moderniser - quelle horreur- , mais au contraire, l'offrir brute, même avec ses tournures voire ses graphies de l'époque. En faire un objet de curiosité. Pour que ce soit rigolo, décalé. Génial. Que chaque gosse s'approprie son auteur comme il le ferait d'un Tyrannausorus Rex en plastique. Comprenez-moi : la grive morte de Troyat, je la sens encore dans la paume de ma main et je suis Elisabeth. Le lion de Kessel, c'est mon chat qui me regarde dans les yeux et je suis Patricia. J'ai été Gigi. J'ai été amoureuse de Bel-Ami. Alors, riche de tout cela, j'ai souvent du mal à ouvrir les livres des auteurs contemporains. Je le fais parce qu'on me dit qu'un livre est formidable, pour faire plaisir. Et puis on ne sait jamais. Parfois, on a une bonne surprise. Une trame bien ficelée, une langue qui chante, de jolis personnages. Mais, à l'âge de la maturité, il est plus difficile de me séduire.Je ne me laisse plus avoir si facilement ! Pourtant, j'adorerais. Bon dieu, qu'est-ce que j'aimerais tomber amoureuse de votre livre, ne pas pouvoir le lâcher et l'avoir longtemps présent en moi, une fois refermé ! Donc, je vous le dis, auteurs en herbe, vous n'avez pas assez lu ! Lisez, lisez, jusqu'à ce que tout votre être ne soit que littérature et pure émotion. Puis écrivez. Mais pas pour vous. Pour le lecteur, pour l'intriguer, le happer, le séduire. Oui, voilà, le secret est là: pour que je vous lise, séduisez-moi !
Les romans d'Anna Alexis Michel sont disponibles sur Rencontre des Auteurs Francophones
Nouveau roman disponible le 1er octobre 2021 !
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Oh ! J'aurais pu écrire ces mots tant mon expérience de la lecture se rapproche de la vôtre (excepté votre histoire familiale et le fait que je n'ai pas encore la même expérience d'auteure). Et tout comme vous, le temps passant, je deviens tellement une lectrice élitiste 😉 Merci pour ces mots.