Avertissement ! cette petite brève de ma vie est interdite aux enfants qui savent que le Père-Noël existe, et aux adultes qui savent qu’il n’existe pas.
Je croyais au Père-Noël comme je croyais aux histoires quelles qu’elles fussent. J’aimais les histoires, j’aimais l’histoire du Père-Noël. N’est-elle pas absolument merveilleuse, la légende du gros bonhomme qui offre des cadeaux à tous les enfants du monde ? Non mais souvenez-vous en un peu !
Quand j’étais enfant, le bonhomme offrait même des cadeaux aux "petits Africains" ! Ces mêmes "petits Africains" dont j’entendais toujours parler quand je ne voulais pas manger mes petits pois :
Mange tes petits pois, il y a des petits Africains qui meurent de faim et qui seraient bien contents d’en manger !
Et je pensais : Pauvres petits Africains ! Non seulement ils meurent de faim, mais en plus on va les forcer à manger des petits pois. Et en quoi ça changera leur problème que je les mange, moi, ces petits pois ? Y a-t-il un vase communicant entre mon surpoids de petits pois et leur souspoids ?
(Note à moi-même : le mot surpoids existe, mais pas le mot souspoids. Ça me laisse pensive : le souspoids ne serait pas un problème comme le surpoids en est un ?)
Toujours est-il qu’il y a encore des adultes pour se demander comment les enfants peuvent croire au Père-Noël, alors que le monde est pour eux un profond mystère et le comportement des adultes la plus grande des énigmes qui soient !
Je ne me souviens pas quel était mon âge quand, peu avant Noël, ma grande sœur m’a emmenée dans la pièce sacrée : la chambre des parents, où elle m’a dit de m’asseoir sur le lit. Devant moi, qui balançais mes pieds qui ne touchaient pas plus terre au propre que ma tête au figuré, elle a ouvert leur placard. Sous les robes et les costumes pendus, étaient les cadeaux, emballés dans leurs attirants papiers colorés, enrubannés de bolduc brillant.
- Tu vois, le Père-Noël n’existe pas ! m’a assurée ma sœur, à genoux devant le trésor, en farfouillant parmi les cadeaux et en espérant lire son nom sur l’une des étiquettes.
Je ne crois pas que j’ai vu le rapport entre les cadeaux au fond du placard et le fait que le Père-Noël n’en fût pas à l’origine. Sans doute parce que je n’écoutais pas plus ma sœur que je ne regardais dans le placard, parce que…
Accrochée au mur était une reproduction en sépia du tableau La légende de Kerdeck, de Fernand Le Quesne. Ah ! ces femmes nues batifolant dans une écume ivoire, entre des rochers bistres, à l’abri des regards sauf de celui, curieux, émoustillé, voyeur ? de la personne qui les regarde. Bien plus que les cadeaux, cette lithographie avait un irrésistible pouvoir d’attraction, un parfum d’inconnu, un goût d’interdit. Et que faisait donc ce breton, seul, au milieu de ces splendides naïades ? Ce tableau avait provoqué mes premières émotions de beauté, mes premiers émois sensuels, inexplicables à moi-même, à fortiori aux autres. Caché tout au fond de moi, je gardai ce délicieux secret. Cette lithographie était la pomme dans laquelle j’avais croqué dedans sans modération. J’étais devenue accro à… la peinture du 19ème siècle !
Dire que vous, adultes, vous croyez que les enfants sont de petits êtres simples. Grands naïfs que vous êtes !
Ho, ho, ho !
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