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Six ans d'absence par Alain Rolland - Extrait

Photo du rédacteur: ALAIN ROLLANDALAIN ROLLAND

Pendant la récente pandémie, au hasard de photos noir et blanc et de quelques feuillets jaunis oubliés, j’ai découvert l’odyssée de mon père dans la seconde guerre mondiale qu’il avait racontée très brièvement voici plus d’un demi-siècle. Cet itinéraire m’a inspiré à écrire mon premier roman historique Six Ans d’Absence basé sur des faits et personnages réels. 

Six Ans d’Absence – un roman retraçant le chemin d’un soldat breton dans la seconde guerre mondiale – inspiré de faits réels et du parcours de mon père.

 

Six Ans d’Absence est un hommage non seulement à mon père, Alexandre, mais à tous les soldats qui ont tant sacrifié pour la liberté et servent d’exemple aux générations futures. L’histoire d’Alexandre est écrite avec honnêteté face à la brutalité qu’il a vécue. Soutenus par une pléthore de personnages détaillés, nuancés et complexes, ainsi qu’une évocation immersive de l’époque, les rebondissements déchirants de Six Ans d’Absence combinent un effet émotionnel profond avec une compulsion qui je l’espère captive le lecteur au-delà des derniers moments dramatiques. Vous pouvez visiter mon site internet pour découvrir des photographies d’Alexandre, ainsi que des liens sur les évènements et sites relatés dans mon livre : www.alain-rolland.com

 

Résumé de Six Ans d’Absence :

Été 1939 - Alexandre vit paisiblement en Bretagne avec son épouse et son nouveau-né. Soudain, la guerre est déclarée et il est enrôlé en première ligne sur le front de l’Est avec son régiment du génie. Son odyssée le transportera ensuite dans les Flandres, en Belgique puis à Dunkerque où il manquera de peu le dernier bateau pour l’Angleterre. Fait prisonnier, il marchera jusqu’en Hollande pour être ensuite acheminé vers deux camps de prisonniers en Poméranie. Des stalags au village de Schivelbein où il travaillera dans un kommando de travail pendant cinq années interminables de confinement, Alexandre traversera de nombreuses aventures tragiques, mais aussi parfois cocasses, entouré d’une pléthore de personnages attachants - Jean, le blagueur érudit, Fanch le bon vivant, Théo le courtier simplet, Léon l’instituteur malchanceux, Violette la vieille fille organiste, Émile le ténor, André le meunier poète, Frida l’ensorceleuse teutonne et son amant Janusz le bossu boiteux, Gus l’évadé ingénieux et facétieux, Amadeusz le transporteur francophile, Gérard le renard, Ben le Texan libérateur, Dmitri le soldat russe latiniste, Marie l’amoureuse à la folie, et bien d’autres encore. L’Armée rouge libèrera Alexandre ; il vivra alors de nouvelles péripéties dramatiques avant son retour, après six années d’absence, auprès de son petit garçon inconnu et son épouse qui l’attendaient impatiemment.

 

Extrait de Six Ans d’Absence (2ème Partie : ‘Prisonnier’ ; Chapitre 12 : Des Rutabagas à la Frida)

[…] Le 4 juin 1941, un an déjà après avoir déposé les armes à Dunkerque, le maire de Schivelbein nous rendit visite pour nous annoncer dans quelle ferme nous devions nous présenter le lendemain matin. Il nous accompagna pour nous montrer le chemin, escortés par deux gardes. En cours de route, il expliqua à Gus que nous serions tous les deux dans les plus mauvaises fermes du village. Notre nouvelle affectation ne s’annonçait pas des meilleures ; c’est avec une appréhension grandissante que je me dirigeai le matin suivant vers une petite ferme au bout d’un chemin de terre tortueux. Pour la première fois, nous avions pu marcher sans escorte depuis notre hangar car les gardes nous faisaient maintenant suffisamment confiance. En fait, ils savaient pertinemment que sans papiers, vêtements civils et cartes, ne connaissant pas la langue, nous ne pourrions aller bien loin si des idées de liberté ou d’évasion nous titillaient.

J’arrivai dans la cour de cette petite ferme familiale, délabrée et lugubre, aux volets cassés, tenant encore seulement par miracle sur des charnières descellées sur des murs décrépits et lézardés. Un tas d’ordures trônait devant une grange plus vieille que Mathusalem, le tout imprégné d’une forte odeur de purin. Sur le pas de la porte, m’attendant comme le Messie, il y avait là la mère d’un âge très avancé. Pliée en deux, appuyée sur un vieux bâton de bois, vêtue entièrement de noir, les cheveux gris hirsutes comme une Harpie, la peau parcheminée et craquelée, le regard voilé mais haineux, elle me scrutait en fait comme si j’incarnais Méphistophélès.

Je reculai d’un pas à sa vue, convaincu d’avoir rencontré la sorcière du village.

La mégère hideuse était accompagnée de sa fille d’une quarantaine d’années, du nom de Frida Fach. Elle était à peine plus engageante que sa gorgone de mère mais était de loin la mieux nourrie des deux, comme en témoignaient ses rondeurs généreuses. Elle était affublée d’une robe décolorée, d’un tablier terne qui ne la quittait jamais et d’un foulard à carreaux bleus et blancs d’où dépassaient des boucles blondes. Le minois plutôt avenant, le regard clair comme ce ciel de printemps, la bouche voluptueuse, les pommettes hautes et le nez aquilin, elle avait sans doute eu un certain charme dans sa jeunesse. Mais cette frimousse n’était plus qu’un ancien mirage qui s’estompait inexorablement au fil du temps.

Il y avait aussi un jeune Polonais célibataire d’à peine vingt ans, Janusz, qui avait été déporté et assigné à ce reliquat de ferme. Le pauvre figurait parfaitement dans ce cadre de désolation irréel avec son pied bot et sa gibbosité prononcée.

En bref, le bossu boiteux agrémentait parfaitement ces lieux maléfiques.

À peine arrivé, la Frida m’envoya au champ pour sarcler des rutabagas et des betteraves. À la vue du terrain, je me fis la réflexion qu’ils s’étaient à coup sûr tous mis d’accord pour m’attendre oisivement : ils m’avaient laissé l’honneur d’arracher les mauvaises herbes à foison qui envahissaient toutes les planches de légumes sans exception. Elle commença à sarcler un mètre environ pour me montrer comment m’y prendre, tout en me parlant une langue inconnue ; j’opinai du chef de temps à autre, feignant ainsi de l’écouter. Puis elle m’indiqua avec de grands gestes expressifs que c’était à présent à mon tour d’œuvrer.

Je pris le sarcloir et commençai ma besogne. La Frida, qui était restée non loin de moi, vint inspecter mon travail après quelques minutes afin d’évaluer mes talents de jardinier. Elle se mit aussitôt à vociférer, rouge de colère. Elle me poussa et tenta de m’expliquer que je ne devais enlever que les mauvaises herbes et non les rutabagas. J’avais en effet pris un malin plaisir à arracher soigneusement les racines charnues en laissant intactes toutes les herbes indésirables ! Dans une rage verbale interminable la Frida me traita de tous les noms que par bonheur je ne pouvais pas comprendre. Elle me refit ensuite une autre démonstration, indiquant clairement de mouvements de la tête les betteraves comme gut et les mauvaises herbes comme nicht gut !  […]

 

En passant près de la grange, j’entendis des bruits inhabituels, comme des chuchotements éthérés. Peu à peu, des soupirs montèrent des entrailles de la grange, ressemblant presque à des gémissements ou des lamentations. 

Intrigué, je m’approchai de la grange à pas de loup. J’entrouvris sans bruit une petite porte sur le côté. Une sorte de vagissement, entrecoupé de halètements saccadés, s’amplifia soudainement. Ceux-ci semblaient venir de derrière les deux stalles dans le coin de la grange où j’avais dû, après mes facéties, reloger l’immense tas de paille. Plus silencieux qu’un apache s’approchant en catimini d’un campement de tuniques bleues de l’armée américaine, je me rapprochai de la source de bruits suspects.         

Elle était là sous mes yeux ébahis, telle une Valkyrie chevauchant son loup pour accompagner les âmes des guerriers défunts au Valhalla ; elle semblait déjà avoir atteint le septième ciel. L’épaisse chevelure blonde ébouriffée, le foulard égaré au milieu des brins de paille, les jupes retroussées, elle frétillait de tout son être et de tout son poids sur le jeune bossu qui semblait être dangereusement au bord de l’asphyxie et de l’évanouissement. 

Notre Quasimodo avait enfin trouvé son Esmeralda teutonne aux tétons titanesques ! 

Dans un dernier soubresaut les deux protagonistes échangèrent un long râle.

Le silence tomba sur la grange.

Retraçant sans bruit, mais le plus rapidement possible, mes pas vers la sortie pour ne pas me faire repérer, je remerciai le bon Dieu de m’avoir épargné les avances de Frida l’ogresse. Je refusai de penser au malheureux rejeton qui pourrait naître d’une telle union avec Janusz ! Je n’osai aussi penser comment un tribunal militaire pourrait juger cet accouplement interdit d’un prisonnier avec une femme locale.

Je décidai donc de refouler ces ébats ahurissants au fin fond de ma conscience.

Je jurai que cet accouplement banni ne ferait pas de bruit dans Landerneau !

 

 

 

 

 
 
 

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